Sur proposition de Truc-Anh
Commissaires invité.e.s : Charlotte Cosson, Bénédicte Vanderreydt, Renaud Vercey, Cécile Loa, Marlène Boutevin, Violaine Barrois et Julien Valnet
À l’occasion du lancement de Buropolis, l’artiste Truc-Anh a imaginé une exposition intitulée « 88 Médiums » dans laquelle il a invité sept commissaires indépendant.e.s ainsi que 88 créateurs.rices de toutes disciplines confondues à réaliser un cadavre exquis géant lors d’une performance collective de 8 heures le samedi 29 mai 2021.
« Et si, l’espace de huit heures, il était possible de faire à nouveau corps pour voir surgir une œuvre de la main de 88 médiums ? Que poètes, artistes, réalisateur.rices, maquilleur.euses, philosophes, chamanes et danseur.ses embrassent le même désir le temps d’une soirée ? Que chaque forme ou idée produite par ces créateurs.rices puisse être remodelée par les autres dans un cadavre exquis à l’échelle d’un lieu ? Que tou.tes manient le noir et/ou le blanc afin d’utiliser le dénominateur commun de leurs différents modes d’expression ? C’est le rêve ouvertement dionysiaque de notre exposition pour l’ouverture de Buropolis… puisqu’elle sera le résultat de ces huit heures à huis clos. Durant le premier confinement, un état d’urgence a été imposé ; les formes de l’entraide ont été repensées – mais dans la distanciation. Alors que le XXe siècle semble avoir été celui des mythologies personnelles, le XXIe s’est vu offrir l’occasion de la première mythologie commune à l’entièreté de l’espèce humaine, faisant pour la première fois front contre un ennemi commun : un virus. Si retrouver la forme du collectif s’impose comme un enjeu phare du siècle que nous traversons, le faire sans ennemi et, a fortiori, sans ennemi vivant semble hautement préférable. La symbiose forme donc le socle de « 88 médiums ». Au sein de Buropolis – l’occupation par Yes We Camp de bureaux abandonnés – l’évocation de la friche comme méthode de Gilles Clément pourrait porter ses fruits. L’écrivain-jardinier explique qu’un jardin est pensé en amont, structuré par des formes simples, préconçues, sans possibilité d’innovation réelle. Au contraire, la conception de notre exposition se fera ici comme pour une friche : a posteriori, à partir d’un moment permissif générateur d’inventions où toutes les formes de (la) vie sont bienvenues. À l’issue d’une troisième contrainte géographique et psychologique, les corps, mêlés, s’y expriment ; la créativité, bien vivante, explose. S’il est question de médiums, c’est aussi pour évoquer une magie, un invisible, un sacré. N’avons-nous pas senti durant l’année écoulée le caractère sacré de la relation et du fait de tisser des liens ? Considérer quelque chose comme sacré permet simplement de le chérir – d’en prendre soin ; comme ces peuples qui protègent encore des lieux sauvages car ils abritent leurs déesses et leurs dieux. S’il est question de médiums, c’est aussi qu’il s’agit de produire un rituel ; sans rituel, difficile de faire un, difficile de former société. Là se situe l’état d’urgence : urgence à ce que les mains se touchent, les idées fassent collectif, les formes soient recyclées. Non en fait. Pas « recyclées » : digérées. C’est plus organique ainsi. Car c’est bien cela qui est en jeu : prendre conscience, pour un temps, de ce qui est déjà-là : nous sommes une même chair, traversée d’un même élan vital.»
Texte de Charlotte Cosson et Truc-Anh