La pression foncière ne cesse de s’accroître dans les grandes métropoles, privant les artistes d’espaces de production alors même que la Ville de Marseille connaît une effervescence culturelle croissante. En réponse spontanée à ces besoins, le projet Buropolis consiste en la transformation d’un bâtiment de bureaux vacant en ateliers d’artistes. Il s’agit d’une ressource imaginée sur mesure par ses usagers, réunis au sein d’une communauté chargée de la programmation et de la construction de cet espace artistique partagé.

Buropolis, c’est la tentative de créer un lieu d’art hybride dans lequel les artistes disposent des espaces de production et d’exposition mais également un socle qui permet le rayonnement des pratiques artistiques sur la manière de fabriquer un environnement. Un biotope abritant des moments de travail et de vie, connecté à son environnement direct, aux enjeux contemporains et qui propose un espace de discussion sur la place des lieux de production artistique à Marseille dans le temps long.

Les pratiques qui y sont hébergées sont multiples : si le lieu regroupe une forte majorité d’artistes œuvrant dans les arts visuels (peintres, sculpteur.rice.s, producteur.rice.s d’images…), il accueille aussi des artisan.ne.s (céramiste, luthier…), des designers (graphique ou objet), des architectes et quelques autres métiers (spectacle vivant, journalisme…). Des artistes aux différents niveaux de confirmation cohabitent, dans une tentative de créer ainsi de l’altérité, du partage et de l’échange.

Au quotidien, en dehors des ateliers, les espaces partagés au sein du bâtiment (1500 m²) permettent la floraison de rencontres : projets de commissariat, tournages, workshops, programmation événementielle, moment de transmissions, sont ainsi autant de projets collectifs permettant de faire émerger des coopérations nouvelles. Ces communs dans le bâtiment sont ouverts au public, donnant aux artistes la possibilité de montrer leur travail et une scène pour se produire librement.

Concernant le lieu : l’immeuble de Buropolis est un témoin de l’architecture industrialisée des années 60. Construit en 1971 par Henri Beauclair, membre du GEAI (Groupement d’études pour une architecture industrialisée). Ce mouvement d’architecture d’avant-garde a été bâti avec un système de construction modulaire, intégralement préfabriqué. Il existe un immeuble “jumeau” de Buropolis, à Villeurbanne, labellisé “Architecture Contemporaine Remarquable”. Aujourd’hui, c’est un bâtiment très lourd en gestion, notamment en raison du respect des réglementations actuelles, impliquant des mesures compensatoires contraignantes occasionnant des coûts élevés en matière de sécurité incendie.

Les expositions 

Les expositions se déploient au dernier étage du bâtiment, sur un espace de 1000 m2. Celles-ci sont autoproduites par les artistes, avec le soutien de Yes We Camp. Les discussions collectives à l’amorce du projet ont permis de faire émerger le besoin de différents espaces, accueillant des typologies de projets distincts. Celles-ci assurent un équilibre entre certaines pratiques à enjeux professionnels et d’autres plus spontanées, entre des artistes invité.e.s et ceux présents à Buropolis, entre luxuriance et lisibilité des propositions. 

Une trentaine d’expositions sont ainsi programmées sur les 18 mois du projet, réparties dans des espaces spécifiques : 

• Le plateau Artist-run space accueille des projets d’expositions dont le commissariat est assuré par un.e artiste résident.e de Buropolis.
  
• Le plateau Libre est destiné aux résident.e.s de Buropolis, pour pouvoir y montrer  des pièces ou des étapes de travail, sur réservation de l’espace, sans étape de sélection des travaux.
  
• Le plateau Résidences déploie des expositions sous forme de sorties de résidences d’artistes ou de commissaires extérieurs à Buropolis ayant été sélectionnés suite à un appel à projet (porté par Voyons Voir – art contemporain et territoire, le collectif Ukkluk et Yes We Camp). Un jury, composé de personnalités du monde de l’art contemporain et d’artistes résident.e.s ont assuré la sélection des projets.
  
• Le plateau Ami.e.s accueille des projets de partenaires marseillais (festivals, centres d’art, fédérations…) oeuvrant dans le champ de l’art contemporain.

Programmes et convivialité

La programmation de Buropolis s’élabore dans un esprit de co-construction avec les artistes résident.e.s, alternant des présentations de recherches artistiques portées dans le cadre de performances lors des vernissages et événements grand public (portes ouvertes, marché, concerts, activités bien-être et repas partagés…). Cette variété de propositions permet de mixer les publics, d’aller à la rencontre des habitant.e.s du quartier et favorise la mise en réseau d’acteurs.rices de différentes sphères d’activité. 

La buvette est l’espace de convivialité central du projet. Située dans l’entrée principale, elle fait office de lieu d’accueil et d’interface entre les résident.e.s du projet et le public extérieur. Il est possible de s’y restaurer le midi et le soir lors des évènements et vernissages. Des jeux (badminton, mölky) peuvent y être empruntés au quotidien par les enfants du voisinage et des rendez-vous hebdomadaires de rencontre avec les voisin.e.s sont proposés le mercredi soir.

Cours et transmission

Le projet tente des manières de montrer l’art de façon singulière, organise des endroits de transmission de savoirs, notamment dans le but de s’inscrire dans des réseaux de voisinage et un environnement immédiat afin de ne pas créer une bulle hors territoire. 

La mairie des 9e et 10e arrondissements de Marseille a développé différentes propositions dont un espace bibliothèque/ludothèque pour les enfants , en préfiguration de la future médiathèque en projet dans le quartier. Situé au rez-de-chaussée du bâtiment, l’espace est actuellement animé par l’équipe du Théâtre Atelier des Arts ainsi que par plusieurs intervenant.e.s extérieur.e.s. Durant l’année scolaire, ce lieu est ouvert en accès libre chaque matin sur inscription. Avec le soutien de la mairie de secteur, l’ESADMM a également mis en place une résidence artistique pour des jeunes artistes de l’école, en fin d’études ou récemment diplômé.e.s de l’Ecole des Beaux-arts de Marseille. Des cours hebdomadaires de pratiques amateures à destination du grand public y sont également proposés de façon hebdomadaire.

Enfin les artistes résident.e.s du projet peuvent utiliser les espaces  du 2ème étage (500m2) pour y proposer un certain nombre de cours (Yoga, cours de modèle vivant, dessins de paysage,etc.) et de workshop (ESAAIX, HEAD Genève, ENSAMM, etc…).

Si une occupation de courte durée demande une très forte implication et précarise en partie les artistes, les temps d’emménagement et de déménagement amputant le temps de création, le parti pris de Buropolis est d’agréger suffisamment d’énergies pour espérer déclencher des solutions futures confortables. La coprésence de nombreux artistes dans un bâtiment emblématique permet d’acquérir conjointement une puissance symbolique, médiatique, tout en captant le regard des institutions et l’attention du grand public. Dans un objectif partagé de porter ces questions et dans un esprit de solidarité, la visibilité induite par le projet permet de rendre palpable et faire reconnaître ces besoins d’espaces de production.

Concernant le mécanisme de l’urbanisme transitoire, ces projets d’expérimentations urbaines et artistiques se situent en zones incertaines, imbriquées de différentes couches de complexité.  Les propriétaires et promoteurs retirent de ces opérations certains avantages, mais les artistes et structures résidentes en obtiennent aussi. Si cette entente ne relève pas forcément d’une « alliance », qui induirait une complicité en termes de pratiques, on peut parler d’une zone de convergence entre les intérêts de chacun : cette zone fluctuante donne naissance à des projets risqués financièrement et risqués dans leur composition partenariale mais qui ouvrent potentiellement une brèche dans le mode de possession de l’espace dans les villes. Ces espaces-temps créent de l’engagement, d’abord pour le temps présent et réel qui y est passé, mais aussi avec l’espoir que ces situations bousculent l’ordre habituel des acteur.rice.s et des usages.